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Après vingt-trois ans en tant que banquier, Christian Junod en a tiré de nombreux enseignements sur la relation de chacun à l’argent. Pour Liberty Mag, il explique comment attirer l’abondance à soi
Propos recueillis par Christelle Crosnier et Romy Azoulay
Christelle : En quoi consiste la notion d’abondance ?
Christian : Souvent à tort, l’abondance est vue pour certains comme une simple question d’argent. C’est beaucoup plus vaste que cela. Elle se manifeste sous des formes diverses dans notre vie : dans les relations humaines, l’amour, la capacité de s’émerveiller… Durant ma carrière de banquier, j’ai appris que l’on pouvait être très aisé financièrement, mais se retrouver en état de manque. Malgré leur bien-être matériel, nombreux sont ceux qui n’ont pas une bonne perception de la prospérité. Il leur manque souvent l’essentiel, à savoir des rapports de qualité avec les autres… Il s’agit déjà d’apprendre à se satisfaire de ce que l’on a et de ce que l’on est, plutôt que de vouloir des choses à l’extérieur pour combler un manque intérieur.
Christelle : D’où vient cette peur du manque ?
Christian : Elle peut venir de la généalogie dans le cas où les parents, voire parfois même les grands parents vivaient dans une forte peur de manque. Nous pouvons porter ainsi cette crainte sans même le réaliser. Elle vient souvent de l’enfance, de quelque chose dont nous avons la perception d’avoir été dépourvu. Il s’agit pour la plupart d’une absence de sécurité et d’une présence aimante. Même au sein d’une famille, certains peuvent redouter le manque tandis que d’autres pas du tout. Et ce, parce que nous n’avons pas tous eu la même place ni le même regard de la part de nos parents. Souvent nous compensons ce sentiment à travers des biens extérieurs. Alors qu’il nous a surtout manqué l’amour…
Christelle : Est-ce cette peur du manque qui vous a amené à votre carrière de banquier ?
Christian : Honnêtement, c’était le dernier domaine où je voulais travailler. Ce n’était donc pas vraiment un choix mais plutôt le hasard. Au cours de ma carrière, j’ai pu observer – sans toujours tout comprendre – des comportements très irrationnels dès qu’il s’agissait d’argent. Par exemple, il est fou d’imaginer que des personnes multimillionnaires puissent craindre de manquer. Cela n’a pas de sens puisqu’elles n’ont aucun problème matériel. Pourtant, elles se comportent comme tel. Certains clients peuvent passer des heures à râler ou écrire des lettres pour quelques euros de frais alors qu’ils ne sont pas à plaindre, comme si leur temps n’avait pas beaucoup de valeur. Enfin, lors de successions, on se déchire comme si l’on crevait de faim alors qu’il y en a bien assez pour tout le monde. C’est donc que d’autres enjeux se cachent derrière ces comportements. Nombreux sont ceux qui ont une blessure d’injustice, comme le décrit Lise Bourbeau (« Les Cinq Blessures de l’Âme ») : si j’ai une blessure d’injustice, je craindrai toujours d’en être victime, donc, je serai actif en permanence dès que j’ai le sentiment de subir une injustice. C’est toute l’histoire familiale qui se rejoue. Souvent, nous réglons nos comptes émotionnels à travers l’argent. Autrement dit, si j’ai l’impression que mes parents ont plus donné à mon frère, je vais le faire payer sans rien lâcher !
Christelle : Comment peut-on s’ouvrir à l’abondance si on a l’impression que l’on n’arrive pas à gagner suffisamment d’argent ?
Christian : Le piège est de penser que la richesse arrivera le jour où quelque chose d’extérieur changera. Wayne Dyer disait : « Apprenez à voir tout ce que vous avez déjà et tout ce que vous êtes déjà ». C’est le premier pas pour sortir d’un esprit de manque et commencer à changer de point de vue. L’abondance amène l’abondance. Plus je suis dans cette mentalité-là avec moi-même, plus j’attire la richesse. C’est en soi que cela commence. Lors de mes études universitaires, j’ai toujours pensé que je n’étais pas à la hauteur. Aujourd’hui, j’estime que l’on peut s’aimer soi-même et en ressentir de la gratitude. Cela ne signifie pas que je suis parfait mais que j’arrête de vouloir courir après autre chose. Ce qui empêche l’abondance, c’est de banaliser ce dont nous disposons. C’est ce que j’appelle la dictature de la normalité. Nous pouvons être reconnaissants d’avoir un bon lit pour dormir, de l’eau courante potable, un toit, trois repas par jour et un téléphone qui fonctionne. Des milliards de personnes sur terre n’ont pas cette chance-là. Il est donc important de s’en souvenir.
Christelle : Peut-on être conditionnés depuis l’enfance à l’échec ou à la réussite ?
Christian : L’éducation reçue par nos parents nous donne plus ou moins de confiance à l’âge adulte. Si nous avons été encouragés à faire des expériences sans être jugés pour cela, nous ne partons pas de la même manière que si nous avons grandi dans un cadre très restrictif. Des parents qui cultivent un esprit d’abondance en mettant en avant tout ce qui va bien vont clairement favoriser un état d’esprit positif, très porteur pour mener tous nos projets à terme. Alors qu’à l’inverse, s’ils étaient toujours à mettre le doigt sur ce qui n’allait pas, nous serons dans la peur de mal faire et donc dans l’idée de l’échec permanent : nos projets se dérouleront sûrement de manière un peu chaotique, dans un état d’esprit assez pessimiste. Pour avoir de la réussite dans sa vie, il faut y croire. Si je ne crois pas en moi-même, il n’y a absolument aucune raison que je réussisse, ni que les autres croient en mon projet.
Christelle : Si vous n’aviez pas de problèmes d’argent, que feriez-vous, même de plus extravagant ?
Christian : Vous êtes en train de donner le pouvoir à l’argent comme étant le seul moyen de réaliser vos rêves. C’est déjà un premier piège. La principale problématique n’est pas une question d’argent. Nombreux sont ceux qui ont les fonds nécessaires mais qui ne mènent pas à bien leurs objectifs pour autant. A l’inverse, certains ne sont pas particulièrement riches mais ont une telle foi qu’ils déploient une énergie et une motivation suffisantes pour attirer à eux les finances et ressources nécessaires. Tout part de l’état intérieur, de notre niveau d’enthousiasme et surtout de nos énergies. Être dans sa zone de confort n’est finalement pas aussi confortable que cela. Au contraire, c’est un espace de peur dont nous avons du mal à sortir. Au moment où l’on s’en libère, il devient plus facile d’expérimenter de nouvelles choses.
Christelle : La réforme de la retraite est au cœur des inquiétudes ; est-ce se fermer des portes que de rester sur ces peurs futures liées à l’argent ?
Christian : Nous abordons le problème de la retraite par le mauvais angle. Derrière ces angoisses, il faut rappeler que beaucoup trop de personnes occupent des emplois non stimulants. Si, comme c’est mon cas, je prends mon pied au travail et que j’arrive à l’âge de la retraite, il sera impensable pour moi d’arrêter de faire ce que j’aime. Donc, si nous faisions des métiers que nous apprécions, avec des conditions de travail plus chaleureuses et respectueuses de notre rythme, nous n’aurions pas spécialement envie de prendre une retraite. A la rigueur, nous adapterions le rythme de notre activité professionnelle à notre équilibre de vie. Aujourd’hui, nous ne tenons pas compte de la pénibilité de certains métiers. Par conséquent, je crois que nous devons faire en sorte de créer des activités qui amènent de la joie et une envie de contribuer, plutôt que des difficultés et de la lourdeur dans l’attente de nos prochaines vacances, du week-end ou de la retraite…
Pour en savoir plus : Christian Junod : « Ce que l’argent dit de vous » (Éditions Eyrolles)