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Par Aude Boussarie
Il est des sujets forts qui après avoir défrayé la chronique perdurent dans l’inconscient collectif, ravivés par des productions artistiques, littéraires ou cinématographiques. C’est le cas de ce fait divers de 1933, connu sous le nom d’affaire des sœurs Papin. Rappel : 2 février, Le Mans. Christine et Léa Papin, employées de maison, assassinent leur patronne et sa fille aînée. L’affaire est vite médiatisée et interroge : les sœurs Papin sont-elles des tueuses sanguinaires ou des victimes de la lutte des classes ? La question partage l’opinion et donne lieu à de nombreuses interprétations tant artistiques que littéraires ou psychanalytiques. On retrouve le thème des sœurs Papin chez André Breton et les surréalistes, chez Lacan avec ses théories sur la psychose paranoïaque, chez Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre qui se rangent aux côtés de ceux qui imputent ce crime à la lutte des classes et plus récemment au cinéma avec les adaptations de Claude Chabrol (La cérémonie) et Jean-Pierre Denis (Les blessures assassines). Nicolas Daubanes s’empare du sujet et l’inscrit dans son travail artistique qui prend racine dans une réflexion autour de « la condition humaine et les formes sociales qui la façonnent », sous plusieurs formes.
– Les portraits à la poussière d’étoile ou à la limaille de fer qui donnent un double sens au propos : « La limaille de fer renvoie aux barreaux des prisons, mais aussi aux limes qui permettent l’évasion. Cette matière fine et dangereuse pour l’œil se dépose par aimantation tandis que le moindre souffle peut faire disparaitre le dessin. »
– La Fièvre, mur de béton et de sucre gravé « On ne devrait pas rendre ainsi la justice dans la fièvre des après-dîners et des digestions difficiles ».
– La concession de la tombe de Léa Papin : il veut nettoyer la tombe et en graver la pierre pour lui donner le statut d’œuvre d’art in situ et en assurer la pérennité.
Pourquoi donner une visibilité supplémentaire à deux criminelles déjà tellement médiatisées ?
Ce projet est né des recherches que j’ai entreprises autour du monde carcéral, un thème récurrent et central dans mon travail. De plus, la dimension sociale que revêt ce fait divers est un levier puissant dans ma démarche. Cette affaire a marqué toute une époque et une société entière, il y a eu un avant et un après sœurs Papin dans le combat de la lutte des classes. L’acte violent envers l’autre ou envers soi-même est la réponse ultime à une oppression subie. Même si je ne soutiens pas le passage à l’acte, je dis qu’il se comprend et que souvent, ce type d’événement fait bouger les lignes vers une amélioration.
Ce travail résonne-t-il plus intimement avec votre histoire de vie ?
Il y a comme un aller/retour entre Léa et moi : mes parents sont décédés quand j’étais jeune, je m’occupe de leur tombe et le fait de me préoccuper de la sienne est comme un parallèle entre ma vie personnelle et une histoire plus universelle. Ces superpositions m’intéressent, elles permettent à chacun de se retrouver dans l’un ou l’autre des aspects de la « Grande » Histoire.
En quoi ce travail s’inscrit-il plus largement dans votre réflexion personnelle d’artiste ?
Le point de départ est l’univers carcéral, mais le fond qui motive l’ensemble de mon travail, c’est bien le thème de la famille. Ce « télescopage » entre les deux me permet de faire entrer le souvenir de ma famille dans un endroit où il sera conservé pour toujours. Ainsi, ma famille, perdue trop tôt, ne disparaît pas. Ce niveau de lecture n’est évidemment pas lisible pour tous, mais il existe pour moi et reste un moteur essentiel dans mon processus de création.