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Un nouveau spectacle musical, « No(s) Dames », ouvre la réflexion sur les corsets de genre de notre culture, transportant les spectateurs dans un voyage émotionnel à la fois puissant et humaniste. Interview de Théophile Alexandre (contre-ténor) et Emmanuel Greze Masurel (Producteur Artistique).
Propos recueillis par Christelle CROSNIER
Christelle : Vous avez constaté que jusqu’ici l’opéra pose problème quant à la représentation de la femme ?
Emmanuel : En effet, tous les opéras ont été composés et écrits par des hommes. Avec un constat assez glaçant qui est que huit héroïnes sur dix finissent mal, que ce soit empoisonnées, suicidées, défenestrées, éventrées, violées, brûlées… Certains héros meurent, mais étonnamment, pour d’autres raisons : parce qu’ils partent à la conquête de nouveaux mondes, participent à de grandes batailles héroïques, mais rarement à cause d’une femme ! Nous nous sommes demandés comment continuer à faire vivre cette musique sans pour autant perpétuer ces clichés de genre.
Christelle : Il s’agit d’arrêter de mettre tout dans des cases et ne plus creuser de stéréotypes ?
Emmanuel : Exactement. C’est pour cela que nous parlons d’un projet humaniste et pas forcément féministe : nous sommes tous des êtres humains, c’est ce que nous voulons faire passer à travers notre démarche artistique. Ce qui est très étonnant dans notre culture et dans notre construction culturelle, c’est le principe même du genre et des attributs qui sont conférés à chacun suivant son sexe. Il y a des attitudes qu’on vous dit d’avoir suivant que vous êtes un homme ou une femme. Par exemple on attribue la valeur de puissance aux hommes, au point même qu’on dit de façon assez vulgaire de quelqu’un qui a du courage, qu’il a des « couilles ». De la même manière, la sensibilité, la fragilité, l’empathie sont systématiquement associées au féminin.
Théophile : Ce faisant, il y a une double peine pour les femmes. Non seulement elles doivent conquérir le droit d’exercer de nouvelles professions mais également incarner certaines valeurs, puis immédiatement après, il y a tout de suite le procès en compétences : « il va falloir que tu prouves que tu sais faire cela aussi bien qu’un homme ! ». Comme si l’homme était l’étalon de mesure… Nous en parlons à travers notre opéra : il y a beaucoup à déconstruire dans notre héritage culturel pour pouvoir élaborer de nouveaux modèles positifs.
Christelle : Vous dites que les femmes étaient soit des madones, soit des putains, soit des sorcières, et que, sur le plan artistique, on ne voulait pas autoriser une vocation créatrice chez elles ?
Emmanuel : C’est un point important de redécouvrir les femmes en tant que créatrices. Elles sont ce qu’on appelle les grandes oubliées de l’Histoire et nous sommes en train de les réhabiliter aujourd’hui. On parle beaucoup des muses, la femme était juste une source d’inspiration. Il est intéressant de noter qu’il y a peu de muses au masculin. Et on peut faire ce jeu d’inversion des rôles à volonté : imaginez un petit garçon qui attend sagement que sa princesse charmante vienne le délivrer d’un baiser et donner un sens à sa vie pendant qu’elle combat les dragons et conquiert le monde ! Nous ne venons pas à la rescousse des femmes mais agissons simplement en êtres humains : nous parlons de sexisme, mais c’est la même chose pour le racisme. Comment un être humain peut-il en dominer un autre et ne pas le traiter comme son égal ?
Christelle : Avez-vous un conseil pour les femmes ?
Théophile : C’est toujours l’idée d’être et d’avancer ensemble. Nous avons la chance de vivre une période complexe mais en mouvement. Le plus important est de ne jamais stagner, ne jamais rester plantés sur le passé mais plutôt en faire une force pour faire bouger les lignes ensemble.
Pour en savoir plus : « No(s) Dames », le 11 avril 2023 au Trianon de Paris, spectacle précédé d’une conférence sur la mise en scène des violences faites aux femmes, avec Ghada Hatem et Victoire Tuaillon, animée par Isabelle Motrot. Tous les bénéfices sont reversés à la Maison de Femmes.
Dates de tournée sur www.theophilealexandre.com