PARTAGEZ L'ARTICLE SUR LES RESEAUX SOCIAUX
Ce contenu est réservé aux abonnés
Merci de vous connecter ou abonnez-vous en cliquant ici !
« Ce qui me révolte le plus c’est ce repli de tous. Tout le monde se recroqueville au lieu de s’ouvrir.
Moi, on m’a toujours appris le partage, ouvrir sa porte, discuter, comprendre, mais ce que je vois, c’est exactement l’opposé. »
Par Rachid M Barki, journaliste historique de la chaîne BFM TV depuis son lancement en 2005 et présentateur de « Faites entrer l’accusé » sur RMC Story.
Discriminer c’est faire la différence entre les uns et les autres mais pas sur des critères objectifs, c’est faire la différence là où il ne devrait pas y avoir de différences. En tant que journaliste, ça a été compliqué au départ, oui évidemment, surtout que je voulais travailler dans l’audiovisuel. Je suis d’origine maghrébine, il se trouve que ça se voit, mais ça ne s’entend pas, et quand je faisais de la radio au début on m’a demandé de changer de nom par exemple, pourquoi ?
Mon nom commence à être maintenant un petit peu connu et pour trouver un logement j’ai peut-être moins de problèmes que d’autres mais parfois il faut passer par des canaux particuliers qui ne sont pas forcément ouverts à tout le monde simplement parce que sur un simple dossier on vous dit non. Oui ça arrive encore, bien sûr…
Je n’aime pas le mot « intégrer » parce que je ne vais pas acheter des produits à la Michael Jackson pour blanchir ma peau. Parce que c’est peut-être ça l’intégration : renier ma religion d’origine par exemple, me lisser les cheveux. Mais je ne vais pas me travestir, je ne vais pas être quelqu’un d’autre, je ne vais pas devenir une personne qui va faire de la chirurgie esthétique pour ressembler aux voisins d’en face pour ne pas qu’ils me haïssent. Parce que c’est ça l’histoire…
Moi, je n’ai pas besoin de m’intégrer, je suis né ici, j’ai fait toutes mes études en France, je suis français, pardon de le dire. C’est terrible de dire « je suis désolé mais je suis français… ». Il faudrait en être fier mais je suis presque contraint de dire « excusez-moi d’exister », donc qu’est-ce que je vais faire? Me battre contre les idées reçues et puis encaisser, encaisser les blagues, encaisser tout ce qu’on doit encaisser quand on n’est pas d’ici ou en tout cas qu’on n’en a pas l’air et qu’on y vit.
Lorsque je croise des personnes dans la rue, d’origine africaine en général, elles me disent « c’est formidable ce que vous faites, enfin des gens comme nous à la télévision ». J’ai beaucoup de mal avec ça parce que je ne suis pas un porte-étendard et que je suis viscéralement journaliste. Une fois, j’ai été abordé dans la rue par une dame qui avait deux petites-filles jumelles d’origine maghrébine. Elle m’a demandé de faire une photo puis m’a avoué : « vous savez tous les jours quand vous êtes à la télé, les filles sont en train de jouer, je les appelle et je leur demande de s’installer de chaque côté de moi et de vous regarder » ; je lui ai répondu « écoutez madame, ce ne sont pas des programmes pour des enfants » ; elle m’a rétorqué : « non, non, c’est juste pour vous voir à la télé et puis pouvoir leur dire : regardez, c’est possible ! ».
Le plafond de verre, c’est ça aussi qui plombe et malheureusement, il existe encore. Cette dame m’a fait changer d’avis justement sur ce côté exemplarité, sur ce côté fierté des personnes que je peux croiser.
Lorsqu’il y a des actes de terrorisme, au-delà du fait de compatir évidemment pour les victimes, je suis comme tous ceux qui ont mes origines, c’est-à-dire que je prie à ce moment-là pour que ce ne soit pas un islamiste. C’est terrible à dire, parce qu’on sait derrière qu’on va en prendre plein la tête, qu’il y aura une période très compliquée, avec une surenchère politique.
Plutôt que de se dire « nous sommes tous des êtres humains, nous vivons tous sur la même planète et nous ramons tous dans le même sens, nous avons tous les mêmes difficultés », tout le monde se crispe de son côté et finalement cela amène à se regarder avec méfiance et presque de la haine parfois.
Tout le monde se ferme et regarde discrètement par sa fenêtre ou par le judas de sa porte pour vérifier qu’il n’y a pas un méchant étranger qui risquerait de faire je-ne-sais-quoi. C’est révoltant mais ça existe et nous en sommes arrivés là… J’ai le sentiment que les mentalités ont régressé sur tous ces sujets de discrimination. Pas uniquement du côté des gens qui peuvent avoir des réflexes racistes mais aussi de ceux qui subissent le racisme, c’est vraiment un repli sur soi, tout le monde a fait plusieurs pas en arrière et ça c’est terrible, ça me fait peur pour mes enfants, ça m’inquiète.
Après on se dit « le monde est grand, pourquoi ne pas partir ailleurs ? »… en même temps c’est ce que réclament certains, je n’en sais rien, je ne suis même pas sûr que les martiens nous acceptent !