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Au Cambodge, dans les zones rurales, toutes les filles ne vont pas à l’école… Souvent, elles travaillent dans les champs ou aident leur famille dès le plus jeune âge. Permettre leur accès à l’éducation jusqu’à leur premier emploi, tel est le challenge stimulant et inspirant de l’ex journaliste et animatrice Tina Kieffer.
Propos recueillis par Christelle Crosnier
Après avoir travaillé pour la télévision, j’avais créé DS Magazine, un journal très engagé pour les femmes, traitant de causes qui me semblaient importantes. J’étais profondément touchée lorsque des photographes de reportage me proposaient des sujets sur la condition des femmes en Iran ou sur les petites filles vendues à douze ans en Afghanistan. Puis j’ai pris la direction du magazine Marie Claire, et en décembre 2004, je suis partie faire un voyage au Cambodge. Alors que j’apportais des vêtements dans un orphelinat, j’ai rencontré une petite fille de trois ans, Chandara, qui pleurait à chaudes larmes. Elle ne répondait pas à son prénom et s’était inventée son propre langage. Cela m’a beaucoup perturbée. Comme elle était malade, j’ai obtenu un visa médical pour la faire soigner en France puis me suis battue pour l’adopter. Elle est ainsi devenue mon cinquième enfant, et je l’ai appelée Thea. Je me souviens m’être promenée avec elle dans les rues de Phnom Penh, il y avait tant de petites mendiantes qui lui ressemblaient, je ne pouvais pas la sauver elle et ne rien faire pour les autres.
De retour à Paris, j’ai entraîné la rédaction de Marie Claire à se mobiliser pour l’éducation des filles et nous avons lancé La Rose Marie Claire pour financer la construction d’une école au Cambodge. Ainsi nous avons pu construire le bâtiment du primaire. Tout est allé très vite. Il y a eu un alignement des planètes incroyable. C’est ainsi que j’ai fondé il y a seize ans Happy Chandara, du nom de ma fille, une école pour les petites filles des bidonvilles, avec pour mission de leur donner une éducation très exigeante pour qu’elles puissent vraiment jouer un rôle plus tard dans leur pays. Aujourd’hui, nous avons 1700 enfants réunis sur notre campus, et même un centre médico-social, deux internats et deux foyers dans la capitale pour nos 350 étudiantes qui sont à l’université. Nos élèves sont vraiment étonnantes : elles nous décrochent 100 % d’admissions au bac ! Avec cette scolarisation de haut niveau, elles vont pouvoir accéder aux postes clefs, utiles pour le développement du Cambodge. Il y a des challenges très importants à relever là-bas, notamment avec le défi que représente la crise climatique. Trente de nos élèves suivent les cours de l’université d’agriculture pour apprendre à lutter contre les pesticides et à relocaliser la production car le Cambodge importe à tout va alors qu’il peut produire. Il y a une vraie prise de conscience. Je suis convaincue que de nouveaux métiers vont se créer et j’ai envie que ces petites soient en première ligne pour les occuper.
Je suis très fière parce que deux d’entre elles ont intégré l’INSA, l’école d’ingénieurs de Lyon, et se forment aux énergies renouvelables. Une autre vient d’être acceptée à l’École des Mines pour travailler sur la géothermie. Lorsque vous donnez une bonne instruction à ces enfants très pauvres, leur motivation est si forte que vous pouvez les emmener très loin. Il est étonnant d’ailleurs de voir leur métamorphose, entre le moment où ces petites filles arrivent à l’école avec un visage fermé et craintif, et quinze jours plus tard vous les retrouvez en train de sauter à la corde et jouer, avec des sourires immenses et une insouciance retrouvée. Elles découvrent le jeu parce qu’elles n’ont pas de jouets chez elles. Il est impressionnant de voir à quelle vitesse elles apprennent. Elles ont une force de résilience incroyable ; elles ont connu le pire mais vont pouvoir aider à construire un monde plus humain.
Généralement, le matin, avec le décalage horaire, je suis en zoom avec le Cambodge quand je ne suis pas là-bas, sur le terrain, pour suivre les projets et travailler sur la pédagogie. Le reste du temps, en France, j’organise des événements pour lever des fonds et nous cherchons surtout des parrains pour nos petites protégées. Parrainer une fillette, cela coûte 35 € par mois pour un particulier, ce qui fait seulement 12 € après défiscalisation, ce n’est vraiment pas énorme dans un budget familial et ça fait vraiment avancer la machine. C’est une belle aventure pour tous : pendant les vacances scolaires, de nombreux parrains viennent avec leurs propres enfants à la rencontre de leurs petites filleules. Nous sommes par ailleurs soutenus par différentes entreprises comme L’Oréal, Sephora, Monoprix, Caroll, ou encore Etam, avec lesquels nous faisons des campagnes d’arrondi solitaire en caisses : ce sont les petites rivières qui font les gros fleuves !
« Mon père était chiffonnier, je serai agronome », tel est le slogan de notre campagne pour l’arrondi solidaire. Cela résume parfaitement la réalité de ces fillettes. Nous cassons un cercle négatif pour en faire un cercle vertueux. Non seulement ces petites filles vont avoir un métier qui leur permettra de subvenir aux besoins de leurs familles plus tard mais en même temps, elles vont jouer un rôle clef pour l’évolution de leur pays. Et demain, ce seront des femmes libres et instruites, qui transmettront le meilleur à leurs enfants.