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Experts dans leurs domaines, ils nous donnent les clés pour mieux comprendre notre société…
L’ambiance est morose dans les hôpitaux, à la fois publics et privés. Ce sont des métiers pénibles et tous les soignants font face à l’anxiété, au stress des patients, ils ont de plus en plus de gardes et d’astreintes. Parmi les médecins, le burn out est de plus en plus fréquent. A l’AP-HP, ce sont 20% de personnel en moins dans certains secteurs. Il y a aussi un vrai problème de valorisation de ces métiers. Par exemple, la consultation des médecins généralistes est une des plus faibles d’Europe. Dans mon domaine, les actes techniques n’ont pas été revalorisés depuis vingt ans, les coûts salariaux augmentent, les coûts des machines aussi. Pour ajouter à cela, les professionnels médicaux ont des rythmes et des amplitudes très élevées engendrant du stress et laissant de moins en moins de temps pour la relation médecin-malade.
Contre la Covid, c’est un miracle que technologiquement nous ayons réussi à développer un vaccin si performant en si peu de temps. Il est parfois difficile aux patients de comprendre qu’on ne protège pas à 100%, mais l’essentiel est de protéger contre les formes graves. Si on transforme une maladie grave en écoulement de nez, fièvre de quelques jours, ou toux d’une semaine, alors elle ne présente plus de risques majeurs. Il y a surtout une discussion sociétale, les non-vaccinés occupant la majorité des lits de réanimation font qu’en pratique on doit reporter des interventions chirurgicales justifiées et nécessaires pour des patients parce que si on les opérait on n’aurait plus assez de lits de réanimation pour les Covid non-vaccinés. Si les moyens médicaux et humains étaient illimités, cela ne poserait pas de problème, mais dans la vraie vie, c’est un vrai souci !
Dans ma pratique, je vois surtout des séquelles pour les patients qui ont eu une Covid grave, au niveau pulmonaire, avec des fibroses pulmonaires importantes. Cela veut dire que chez certains patients, les poumons ont été véritablement atteints et qu’ils auront des séquelles à vie (problème de dyspnée, c’est à dire des difficultés respiratoires pour des efforts minimes).
Je ne sais pas s’il y a un facteur particulier pour attraper plus facilement la Covid, mais à titre personnel je pense qu’il y a un facteur génétique important. Pourquoi certains ont-ils des formes asymptomatiques et d’autres des formes gravissimes ? Les facteurs de risque n’expliquent pas tout. Une susceptibilité génétique en est probablement la cause.
Pour renforcer le système immunitaire, les règles d’hygiène de vie sont des éléments efficaces : le sommeil, le sport et la diététique. Par exemple, on sait que chez les patients atteints d’un cancer, la pratique d’une activité sportive régulière et adaptée permet d’améliorer les défenses immunitaires et de lutter contre la maladie. Il n’est pas nécessaire d’aller dans l’excès et de faire des marathons tous les jours!
Dès mars 2020, nous avons réuni des cellules de crise à l’AP-HP et le directeur général Martin Hirsch nous écrivait des mails quotidiens, nous avions suffisamment d’informations pour comprendre que la crise sanitaire allait être d’une grande ampleur et internationale. Parfois on avait l’impression que les consignes changeaient beaucoup, toutefois, cela était justifié par les données sur la circulation du virus et les capacités d’accueil dans les hôpitaux. Si au début les représentants des usagers étaient peu présents, ils ont ensuite été associés, de même que les syndicats.
Aujourd’hui dans les hôpitaux, il y a une forme de lassitude et de résilience : la crise dure depuis longtemps et on n’a aucune certitude sur la date de fin de circulation du virus qui reste encore mortel. En Ile-de-France, nous connaissons des difficultés de recrutement des professionnels soignants, la crise est un des facteurs d’explication, ce n’est pas le seul : les prix des loyers, les difficultés de circulation, les transports, l’accès aux équipements sportifs et culturels, la pollution sont aussi des obstacles. On a aussi des soignants qui ont trouvé encore plus de sens à leur mission en étant au cœur de la crise et auprès des patients malades de la Covid.
Beaucoup de professionnels ont eu la Covid, parfois plusieurs fois. Ils pourront déposer un dossier de reconnaissance en maladie professionnelle. L’institution a essayé de fournir la possibilité d’accéder à des tests, à bénéficier de conseils de la cadre expert en hygiène, du médecin du travail, le soutien des psychologues et de l’assistante sociale des personnels pour envisager des solutions de garde d’enfants notamment. Les professionnels de santé ont l’obligation vaccinale depuis la loi du 5 août et celles et ceux qui ne sont pas vaccinés ne peuvent pas travailler à l’hôpital, ils sont une toute petite minorité.
La demande de recours à l’hospitalisation à domicile (HAD) est en augmentation constante depuis plusieurs années. La crise sanitaire a confirmé l’intérêt de l’HAD notamment pour les patients : moins de risques d’infection et plus de présence des proches. Cette crise sanitaire nous a montré combien nous devons rester solidaires et combien notre système de santé, tant critiqué, est robuste !
Je trouve honteux que même dans une situation sans précédent on n’applique pas le discernement : ainsi par exemple, nous sommes soumis à des problèmes de circulation et de stationnement. Tous les jours je reçois un dossier avec plusieurs centaines de contraventions de nos collègues verbalisés dans l’exercice de leur métier, c’est impensable ! Doit-on arrêter les visites à domicile et privilégier la téléconsultation pour que les autorités comprennent ?
Depuis le début de cette crise, se sont entrechoquées la position strictement scientifique de la communauté médicale et la frontière avec les décisions qui relèvent de la politique. Je suis un médecin de terrain et je ne parle que ce que je vois ; nos données de SOS Médecins sont remontées quotidiennement à Santé Publique France car elles font partie de la surveillance nationale de la Covid parce que nous sommes en première ligne et qu’elles sont les plus précoces.
Heureusement que nous avons eu une solidarité nationale sans précédent, ainsi quand nous manquions de masques par exemple, un dentiste m’a appelé : « J’ai 25 FFP2 vous les voulez ? », idem pour une société de publicité : « J’ai 840 masques à vous offrir » : c’est grâce à tous que nous avons pu tenir.
Comme de nombreux médecins, j’ai attrapé la Covid, mais heureusement je n’en ai pas eu une forme forte à part une fatigue extrême. Pour certains, il y a des Covid longs, avec des patients chez qui persistent des vertiges, qui ont beaucoup de mal à retrouver le goût et l’odorat, et qui ont des troubles respiratoires continus pendant des mois et des mois. Fort heureusement, ce n’est pas systématique. J’ai même eu une patiente de 100 ans qui a eu une forme extrêmement mineure du virus, avec à peine un peu de fièvre.
L’immunité collective peut être atteinte par la combinaison de l’utilisation du vaccin et de la maladie naturelle de façons différentes en fonction de chaque maladie. Si le seuil est de 95 % de la population pour la rougeole, il est de 80 % pour la poliomyélite mais le seuil de contamination à atteindre pour la Covid19- est inconnu.
La présence du groupe sanguin ABO semble être lié à la susceptibilité de la contagion au virus. Les résultats des diverses études sont relativement discordants, mais une récente méta-analyse (regroupement d’études) chinoise suggère que les patients de groupe sanguin A et B sont plus réceptifs à l’infection que ceux du groupe O, et que les patients du groupe A soient plus l’objet de formes graves. Il est maintenant clair que le vaccin protège contre les formes graves mais moins contre l’infection ou la réinfection. Comme le variant Omicron est beaucoup plus contagieux que les précédents, il est à l’origine de formes plus légères et une mauvaise idée apparaît : celle de se contaminer volontairement pour développer une immunité « naturelle ». « Affection de moindre gravité » ne veut cependant pas dire « affection bénigne », comme en témoigne la persistance d’une mortalité significative du fait du nombre très élevé de personnes ayant eu un contact avec le virus. Finalement l’analyse des chiffres de patients entrant en réanimation prouve que le vaccin protège nettement mieux contre les formes graves que son absence. Divers « trucs » ont pu être proposés tels que par exemple la prise de fortes doses de zinc ou de vitamine C. La recherche médicale classique a cependant les moyens de répondre à ce qui s’apparente plus à des modes qu’à la science. Ainsi un essai randomisé paru dans le JAMA (Journal of American Médical Association) a montré que chez 214 patients adultes avec un diagnostic confirmé par PCR, la division en quatre groupes recevant respectivement un fort apport en zinc, en vitamine C, les deux, ou rien (c’est-à-dire le traitement symptomatique habituel), il n’y a eu aucune différence évolutive en ce qui concerne la gravité ou la durée de la maladie. L’étude qui devait continuer a été arrêtée pour « futilité ». Elle montre combien, en ces périodes de « fausses nouvelles » envahissantes, seules les informations émanant de façon répétée de sources scientifiques fiables doivent être prises en compte. En résumé le seul moyen de renforcer son système immunitaire, qui a été prouvé de façon méthodiquement étudiée et répétée, est la vaccination.
Il n’a échappé à personne que la grande innovation thérapeutique consécutive à cette épidémie est l’utilisation de l’ARN messager à des fins vaccinales. Cette technique a un très grand avenir et concernera de nombreux domaines médicaux en dehors de la prévention des maladies infectieuses. Dans un autre domaine, le confinement, et plus largement la nécessité de distanciation sociale, a grandement favorisé la large utilisation d’Internet pour le télétravail mais aussi la télé consultation. L’habitude de prise en charge à distance de la santé des patients perdurera, et à court terme pourra aider à lutter contre la désertification médicale. Enfin sur le plan de la recherche scientifique, jamais la coopération internationale n’a été si étroite, à la recherche d’une solution de sortie de la crise. Les plus grandes revues médicales sont devenues gratuites pour tous les articles traitant de la Covid-19. C’est cette volonté unique de travailler ensemble dans la même direction qui a permis d’aider plus rapidement à la compréhension du mécanisme de la maladie, l’exclusion des fausses pistes thérapeutiques des mauvais vendeurs de rêves, et l’identification de vaccins et de médicaments permettant une meilleure prise en charge de la maladie.