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Par Sylvana Lorenz, « Madame Cardin »
Les grandes fêtes après la seconde guerre mondiale sont représentatives de l’ivresse célébrant la liberté retrouvée. On a beaucoup condamné les riches pour leur ostentation et pourtant la fête est préférable à la crise. Au lieu de considérer la fête comme une provocation, on devrait mettre en lumière les circuits économiques qu’elle alimente et les idées nouvelles qu’elle suscite surtout dans le domaine de la mode en stimulant la créativité de ses artisans et de ses artistes : couturiers, plumassiers, brodeurs, denteliers, maquettistes, maroquiniers ou éventaillistes, ciseleurs, graveurs, bijoutiers, bottiers, modistes sont en effet indispensables pour répondre aux plus folles inspirations des créateurs et nous émerveiller lors des défilés. Ces grandes fêtes étaient le symbole de la mutation de la société de consommation qui s’annonçait et qui faisait bourdonner discrètement plusieurs ateliers où des mains d’or confectionnaient des œuvres raffinées au service du luxe étalé dans les plus belles fêtes. On les doit à certains personnages extravagants comme, un exemple parmi tant d’autres, le comte de Beaumont qui donna « Le Bal des Rois », dans son hôtel particulier près de l’école militaire. Il était connu pour posséder une des plus somptueuses collections de bijoux du Second Empire. A cette fête, le couturier Christian Dior, son invité, apparut costumé en lion rouge avec une cape en tulle gaufré qui fit sensation. Ce fauve à la puissance bienveillante était à l’image de la personnalité de son hôte. Sa photo fit la première page des journaux.
En la voyant, l’un des princes du Tout Paris, Carlos de Beistegui voulut rivaliser en organisant en septembre 1951, « Le Bal du Siècle » au Palais Labia de Venise qui donnait sur le Grand Canal. Selon la légende, le propriétaire du palais était tellement riche qu’il jetait dans le canal la vaisselle d’or après les festins. Carlos de Beistegui était une figure Proustienne, matinée de Picasso et de Dali. Excentrique et étrange, il consacra une partie de son existence à aménager son château de Groussay à Montfort-L’Amaury. Pour ce bal dont la préparation nécessita toute une année, mille-cinq-cent invités prestigieux, tous costumés, arrivèrent en gondoles, accueillis puis escortés par des géants de quatre mètres de haut, vêtus de capes, en noir et blanc, jusque dans la cour du palais où les pompiers, déguisés en Arlequins, composaient des pyramides humaines. Prévenus un an à l’avance, ils s’étaient efforcés de rivaliser d’invention et étalaient un luxe inouï. Il y avait notamment le romancier Paul Morand et sa femme ou encore la princesse Soutzo.
Les Morand donnaient eux aussi à cette époque de somptueuses réceptions dans leur hôtel parisien du numéro 3 de l’avenue Charles Floquet dont le salon, qu’affectionnait particulièrement Marcel Proust, faisait seize mètres de long. Il y avait aussi Marcel Achard, avec son élégante épouse Juliette, l’Aga Khan, les Rois Peter de Yougoslavie et Michel de Roumanie, les cinéastes Jean Renoir, René Clair, Orson Welles, l’excentrique Dali avec des bas fluorescents, Alexis Von Rosenberg, troisième Baron de Redé, venu en empereur de Chine, le couturier vedette, Jacques Fath et son épouse en costume royaux, la Baronne de Rotschild en Catherine de Russie, la Vicomtesse Marie-Laure de Noailles, le poète Jean Cocteau… Cette nuit-là, les dix-huit salons et les vingt-cinq chambres du palais devinrent la scène des plus grands mondains venus étaler leur créativité festive.
Une partie de la ville autour du palais était mobilisée car en dehors de la somptueuse demeure illuminée de mille feux, toutes bannières déployées, Carlos de Besteigui avait prévu dans les rues un bal populaire qui eut autant de succès que le défilé des invités de marque qui d’ailleurs vinrent se mêler à la population, donnant un spectacle des plus bigarrés qui se reflétait dans les canaux. Ce fut un succès dont on parla bien des années plus tard comme le début d’un retour à la vie et au renouveau économique mondial !
Retrouvez Sylvana Lorenz lors de sa conférence au Centre Universitaire Méditerranéen de Nice le 30 janvier et pour l’exposition «Égéries de Pierre Cardin» jusqu’au 25 février – Galerie Depardieu – 6, rue du Docteur Jacques Guidoni – 06000 Nice.