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Propos recueillis par Christelle Crosnier
« Dans un monde où les femmes sont plus nombreuses que les hommes, nous avons encore l’impression de vivre dans un monde d’hommes ! Un monde majoritairement gouverné par des hommes et où les codes, notamment ceux du leadership, sont très masculins. Même si toutes les lois stipulent que nous sommes égaux en droit, on se rend compte que dans les faits, ce n’est pas tout à fait le cas. Il y a beaucoup encore à améliorer. Par exemple, les femmes aujourd’hui représentent 60 % des diplômés bac + 5 mais elles n’occupent que 20 % des postes de direction. C’est ce qu’on appelle le plafond de verre. La loi Pacte avec Muriel Pénicaud et maintenant la loi Marie-Pierre Rixain font en sorte qu’il y ait plus de femmes aux postes de cadres dirigeants notamment. On corrige par des quotas et on se rend compte que les femmes font très bien le job. Comme lorsqu’on est passés de 11 % de femmes dans les Conseils d’Administration à 45 grâce à la loi Copé Zimmermann.
Le syndrome d’imposture et autres syndromes comme celui de la bonne élève, font que parfois les femmes s’auto-limitent. Cela découle de notre culture et de la façon dont nous avons été élevées. On nous a montré des modèles quasi uniquement masculins à certains postes et nous avons du mal à nous identifier et nous projeter. On ne vous a certainement pas dit lorsque vous étiez petite « Ma fille, tu seras Présidente d’une grande compagnie ou Premier Ministre » alors qu’on a instillé l’idée à de nombreux petits garçons. C’est donc plus difficile de se sentir à sa place, mais nous essayons aujourd’hui justement de montrer plus de role models féminins, sans transmettre la sacro-sainte culpabilité
« Attention, choisis un métier qui ne soit pas trop prenant parce qu’il faudra quand même que tu sois là pour ton mari, ta famille et élever tes enfants… » : il s’agit plutôt d’éduquer dans l’idée qu’il y a une équipe parentale avec un vrai partage des tâches.
Je travaille sur le fait de briser le plafond de verre depuis longtemps, notamment en coachant de nombreuses entreprises sur le sujet. Mon angle d’approche est vraiment la compréhension commune. Loin de certains fichus machos, beaucoup d’hommes ont envie de bien faire. Ils ne sont pas responsables d’une société millénaire dont ils héritent et agissent souvent par méconnaissance sans prendre en compte la façon dont nous fonctionnons. Lorsqu’on n’a pas été soi-même considéré comme un objet depuis l’enfance, qu’on n’a pas vécu les regards insistants des hommes à l’adolescence, c’est difficile de se mettre dans notre peau. Faire cet effort de se comprendre les uns les autres est la première étape. Ensuite, il s’agit évidemment d’accompagner les femmes pour compenser le déficit de leur éducation et leur donner pleinement confiance dans leurs capacités. La singularité est la clé de notre succès : « Qui suis-je ? Qu’est-ce qui me rend unique ? ». Jacques Attali m’avait dit il y a quelques années : « Faites ce que personne d’autre ne peut faire ». Cela donne le vertige parce qu’on a toujours tendance à se comparer aux autres, à se conformer à ce qu’on attend de nous ou à ce qu’on pense qu’on attend de nous. On peut faire la démarche inverse de se dire « Que puis-je donner de différent à cette société en étant efficace et convaincante parce que c’est complètement aligné avec celle que je suis ? ». Je dirais : il ne faut rien s’interdire ou en tout cas, ne pas se l’interdire pour de mauvaises raisons. Il n’y a aucune injonction à briser le plafond de verre ou à monter dans la hiérarchie, mais il faut que ce soit vraiment un choix personnel, mûrement réfléchi sur la base de : « De quoi ai-je besoin ? Quels sont mes essentiels ? Est-ce que pour me réaliser, j’ai également envie de me réaliser professionnellement ? ». Pensez grand, ne sous-estimez pas ce que vous pouvez faire à long terme. Autorisez-vous ! C’est souvent beaucoup plus facile qu’on ne croit, car les femmes sont courageuses.
Enfin il faut aussi sensibiliser les hommes pour qu’ils n’aient pas l’impression qu’on ne vient leur prendre leur place.
En tant que créatrice et présidente du MédiaClub’Elles, une association de plus de huit-cent professionnels de l’audiovisuel qui œuvrent pour plus de parité dans les médias, je peux vous dire que pour l’instant nous sommes encore loin de l’égalité ! Je dis souvent aux femmes : « Une fois que vous aurez les clés, vous pourrez commencer à changer les serrures et, qui sait, modifier aussi la structure de la maison ! »
Caroline Roux travaille d’arrache-pied à l’égalité, en essayant d’avoir tous les jours la parité sur ses plateaux. Et ce n’est pas facile en période de guerre où les experts en stratégie, armement, covid, etc. sont souvent des hommes. De notre côté, nous organisons beaucoup de rencontres, débats, mentorings, à la rencontre de grandes dirigeantes des médias à travers le monde. Nous remettons également nos trophées MédiaClub’Elles à l’Assemblée Nationale chaque année en février pour récompenser celles et ceux qui œuvrent pour une meilleure représentation des femmes dans les médias.
Les droits des femmes sont hyper fragiles et peuvent être très vite bafoués et remis en cause. On le voit bien actuellement aux États-Unis qu’on pensait être le pays de liberté. Il faut faire très attention. Je vois des hommes qui sont en colère contre les quotas, avec l’impression qu’on leur prend leur place ou qu’ils ne peuvent plus draguer ! Comme si on ne savait pas différencier la drague du harcèlement sexuel ! Malheureusement, cela nourrit beaucoup de frustrations et d’agressivité. Ce sont les mêmes qui ont mis Trump au pouvoir. Si vous allez sur les groupes masculinistes en France, vous prendrez peur : vous y trouverez des appels au viol, quand ce n’est pas au meurtre. Pour rappel, une féministe n’a jamais tué personne ni violé qui que ce soit. J’ai peur du retour du « bad clash », il faut rester très vigilants…”
Pour en savoir plus : https://www.brisezleplafonddeverre.com
« Brisez le plafond de verre : 12 clés pour réussir au féminin » de Florence Sandis (Éditions Michel Lafon)