PARTAGEZ L'ARTICLE SUR LES RESEAUX SOCIAUX
Figure emblématique des droits des femmes en France, Marlène Schiappa a joué un rôle clé pour améliorer leur position dans la société. Elle nous a accordé une interview exclusive pour porter haut avec nous la voix des femmes.
Christelle : Trouvez-vous que nous progressons ou régressons dans les droits des femmes ?
Marlène : Les deux ! Je trouve que nous sommes dans un moment extrêmement paradoxal avec beaucoup de progrès dans le débat public. On voit que le sujet des féminicides a quitté les colonnes « faits divers » pour devenir maintenant des faits de société. Au moment du meurtre d’Alexia Daval, quand j’ai parlé de féminicide il y avait des débats sur les plateaux de télévision pour savoir si ce mot existait ou pas. Il est depuis rentré dans le dictionnaire et a été utilisé des dizaines de milliers de fois. Ça veut dire qu’aujourd’hui on progresse sur ces questions-là ! Néanmoins on régresse aussi sur d’autres sujets puisqu’il y a une forme de « backlash », c’est-à-dire de retour de bâton contre les mouvements féministes partout dans le monde. On le voit dans des États dans lesquels on punit maintenant l’IVG et on restreint l’accès des femmes à l’avortement et aux droits de disposer de leur corps, mais on l’observe aussi dans les moments de la vie quotidienne avec du sexisme de la vie de tous les jours qui est toujours extrêmement présent, dans le fait de dénigrer les femmes au travail ou dans leur vie personnelle.
Christelle : Quelles femmes vous inspirent ?
Marlène : Je suis très inspirée par de nombreuses femmes de façon générale parce que je crois beaucoup à la sororité, mais plus que les grandes icônes, je pourrais citer autant Simone Veil que Frida Kahlo ou les livres de Virginie Despentes et de Françoise Sagan. Je suis inspirée par les femmes du quotidien. Par ma grand-mère qui est une femme qui a toujours travaillé tout en s’occupant de ses enfants et en étant un peu rebelle par rapport aux normes de l’époque. Mais également par mes filles de seize et onze ans, qui sont la génération sans compromission. Elles me disent que nous avons théorisé les inégalités femmes-hommes, mais qu’on a fait beaucoup de compromis et que leur génération n’est plus prête à accepter toutes ces petites vexations, tous ces petits actes sexistes du quotidien. C’est une génération très intransigeante qui nous pousse à toujours faire plus et mieux.
Christelle : Qu’est-ce que le féminisme pour vous et en quoi êtes-vous féministe ?
Marlène : Je crois que c’est Françoise Giroud qui disait que le féminisme, c’est de refuser pour les filles des autres ce qu’on n’accepterait pas pour soi-même. Pour moi le féminisme, c’est forcément quelque chose d’universaliste. Je veux qu’une petite fille malienne soit tout autant protégée qu’une petite fille bretonne et que toutes les femmes aient les mêmes droits. C’est pour ça que je lutte contre l’excision, contre les mariages forcés, contre la polygamie et contre tout ce que vivent les femmes partout dans le monde. Pour qu’elles soient partout protégées avec les mêmes droits.
Christelle : Vous êtes connue pour avoir une action très forte en faveur des femmes, pourquoi êtes-vous si engagée personnellement ? Et avez-vous vous-même vécu des discriminations ?
Marlène : À la base, c’est une question d’humanisme et de révolte contre l’injustice. Pourquoi des femmes et des hommes face à une situation similaire vivraient des choses différentes ? Quand j’ai eu ma première fille, j’ai été enceinte très jeune à vingt-trois ans, je travaillais dans une grande agence de publicité et je voyais à quel point pour les hommes la journée se déroulait facilement. Ils faisaient de longs déjeuners, rentraient à 15h et le soir, ils allaient boire des bières au bar d’en face, ils réseautaient, se cooptaient les uns les autres. Et pendant ce temps, les femmes pendant leurs pauses-déjeuner, mangeaient un sandwich en faisant les courses en ligne, géraient les rendez-vous pédiatre ou nounou… Je trouvais cela profondément injuste, parce que les deux ont des enfants mais il n’y a qu’un sexe qui est impacté. C’est pour ça que j’ai créé mon association « Maman travaille ». Par ailleurs, très jeune, j’ai été confrontée au harcèlement de rue et aux violences sexuelles et quand j’en parlais aux adultes autour de moi, ils me répétaient toujours que c’était comme ça, que c’était une fatalité etc…
Christelle : Quelles sont les solutions pour inverser la tendance et aller vers une transition féministe ?
Marlène : Mon mot d’ordre c’est : ne rien laisser passer. Et ça fonctionnera si on s’y met tous. Ça veut dire que les hommes doivent être nos alliés et doivent aussi nous soutenir.
Christelle : Sans passer par la loi, comment faire avancer concrètement la cause des femmes et que cela rentre enfin dans les mœurs ?
Marlène : Il faut que toute la société se mette d’accord pour considérer que oui, c’est grave les violences conjugales.
Christelle : Pensez-vous que la cohabitation hommes-femmes est possible ou les discriminations sont-elles toujours présentes ?
Marlène : Bien sûr ! Moi j’adore les hommes et j’ai été élevée en grande partie par mon père, je suis mariée, dans mon entourage j’ai de nombreux hommes qui sont mes confidents, mes soutiens, j’ai beaucoup de conseillers masculins qui sont très engagés. Je crois vraiment qu’on peut être un homme et féministe, et on a d’ailleurs besoin des hommes dans ce combat.
Christelle : Pour vous, comment casser le plafond de verre et valoriser l’entrepreneuriat féminin ?
Marlène : Il y a de plus en plus de femmes à la tête des entreprises grâce aux quotas. Je sais que ce n’est pas toujours soutenu, mais ils sont un mal nécessaire. On nous dit que c’est humiliant pour une femme d’être nommée grâce aux quotas ; je pense que c’est encore plus humiliant pour une femme de ne pas être nommée du tout ! Sur les inégalités salariales, je pense qu’il faut arrêter de demander les anciens bulletins de salaire lors d’un recrutement. Si on calcule le nouveau salaire d’une femme sur la base de l’ancien, on ne fait que perdurer les inégalités existantes avec cette vieille habitude.
Christelle : Vous avez été connue en créant le blog « Maman travaille », quels sont les conseils que vous donniez aux femmes déjà à l’époque ?
Marlène : De s’assumer telles qu’elles sont et de ne pas écouter les conseils justement, même les miens ! Je crois que c’est extrêmement important de se dire qu’en tant que femme on peut prendre ses propres décisions, faire ses propres choix et ne pas se laisser enfermer dans des moules qui nous briment et qui briment aussi notre identité.
Christelle : Y-a-t-il selon vous suffisamment de femmes en politique ?
Marlène : Il n’y a pas suffisamment de femmes en politique ! J’ai fait partie des commissions d’investiture et je peux vous dire que ce n’était pas facile d’avoir des femmes qui nous disent « Là je ne peux pas, il y a des vacances scolaires », « Je ne peux pas parce que je dois m’occuper de mes enfants » ou encore « J’aimerais bien, mais je ne sais pas ce que mon mari en pensera ». C’est aussi une question d’autocensure des femmes, nous avons encore des efforts à faire sur ce sujet.
Christelle : Il paraît que les banques prêtent beaucoup plus aux hommes qu’aux femmes, savez-vous pourquoi ?
Marlène : Oui, il y a une espèce de crédibilité des hommes davantage que des femmes et ce sans aucune raison ! C’est ce qu’on appelle la présomption d’incompétence des femmes. Ça veut dire que si on voit arriver un homme, on va commencer par se dire qu’il est forcément très compétent, on va penser que c’est un expert, et si on voit arriver une femme, surtout si elle est jeune ou un peu maquillée avec une robe, on ne va pas se dire « Tiens, une experte ! », on va se demander ce qu’elle fait là.
Christelle : L’accueil des femmes victimes de violence dans les commissariats reste encore très décrié comment y remédier ?
Marlène : Nous avons formé 100 000 policiers et gendarmes avec Gérald Darmanin le Ministre de l’Intérieur, c’est important, car ils ne l’avaient pas été précédemment. Nous avons créé la plateforme arretonslesviolences.gouv.fr qui est disponible 24/24h et 7/7j, et qui permet de parler depuis un écran à des policiers et des gendarmes pour prendre rendez-vous pour porter plainte ou pour les faire intervenir.
Christelle : Pourquoi avoir écrit votre essai sur la culture du viol ?
Marlène : C’était bien avant MeToo, c’était à une période où on ne parlait pas de la culture du viol et j’ai eu envie en France d’expliquer ce que c’était et de rappeler à quel point cette culture du viol est présente partout. Par exemple, un des éléments de la culture du viol, c’est de blâmer les victimes, de considérer que quand une femme est victime de viol, c’est finalement un peu de sa faute parce qu’elle l’a un peu cherché.
Christelle : Votre conseil aux femmes pour 2023 pour avoir le « Girl Power » ?
Marlène : Mon conseil, ce sera la sororité ! Je pense que si on perçoit les autres femmes non pas comme des ennemies, mais comme vraiment des alliées potentielles, on aura fait un gros effort. Toute la société nous incite à voir les autres femmes comme des rivales : ce qui est important, c’est de sortir de ce schéma et de les voir comme des sœurs.
Christelle : Votre conseil aux hommes pour 2023 ?
Marlène : Arrêtez de dire que vous êtes féministe parce que vous avez fait la vaisselle une fois !