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Par Marine Balansard, co-fondatrice du cabinet Ariseal en intelligence décisionnelle après plus de 18 ans en salle des marchés à la Société Générale sur des postes de vente de produits dérivés auprès de clients français et internationaux, co-auteur de « Décider ça se travaille » (Eyrolles)
Alors que la dégradation de notre environnement est dénoncée depuis des décennies, les comportements ne se transforment finalement pas beaucoup, ou pas assez rapidement, pour espérer juguler une catastrophe annoncée.
Nombre de registres émotionnels ont été déployés (sensibilisation, cris d’alarme, colère, imploration) et pourtant les décisions s’engagent difficilement aussi bien pour les individus que pour les politiques. Au-delà de la complexité du sujet qui rend incertain l’arbitrage des individus, pourquoi est-ce si ardu de changer ses habitudes ? Comment se décider à créer les conditions de pérennité de notre propre espèce ?
Un vortex intellectuel Chacun a dans son entourage des personnes devenues des experts du dérèglement climatique et de l’écologie. C’est que ces sujets sont une mine d’or intellectuelle, à la croisée de différentes sciences, de nature à nourrir des réflexions complexes et de multiples conversations. Le hic survient lorsque l’intérêt intellectuel se suffit à lui-même, et ne se décline pas en décisions ou actions dans le monde réel. Pour certains, comprendre les enjeux et influencer est suffisant : l’opérationnalisation, c’est pour les autres.
Si un vortex se définit comme une influence irrésistible, à l’image d’un tourbillon, certains réussissent à s’en extraire ou ne pas se faire aspirer. Les sceptiques par exemple, mais également ceux qui comprennent, adhèrent, mais pensent que cela ne les concerne pas. L’épisode du « char à voile » de l’équipe du PSG, ou des jets de l’ancien Premier Ministre Jean Castex pour aller voter dans les Pyrénées, reflète parfaitement cette dissociation.
Changer par la peur ? Les scénarii catastrophes assortis de probabilités affolantes génèrent incontestablement de la peur. Est-ce de nature à nous faire bouger ? Oui, mais pas toujours dans le bon sens. Certains, individuellement vont se réfugier dans des stratégies de type survivaliste, comme une forme de fuite de ce monde. D’autres sombrent, notamment chez les jeunes, dans l’éco-anxiété entraînant une forme de paralysie : à quoi bon bouger puisque tout est perdu ? A-t-on seulement idée de l’effet que provoque dans le psychisme des jeunes cette perception d’être né dans une planète sans avenir ? Certains experts ont d’ailleurs amendé leur discours, de façon à être moins anxiogènes, comme Jean Marc Jancovici par exemple. D’autres enfin vont se battre pour retourner une situation quasiment désespérée, parfois de façon extrême. Ce sont trois réactions classiques face à la peur, les 3 « F », pour Flight, Freeze et Fight (respectivement la fuite, l’immobilisme, le combat).
Si la peur est mobilisatrice, elle ne semble malgré tout pas de nature à permettre le développement d’un projet collectif, ce qu’implique pourtant l’écologie. Au mieux la peur permet une prise de conscience, qui ne conduit d’ailleurs pas toujours à une prise de décision.
Le coût de la perte L’être humain est terriblement averse à la perte, ou plus exactement à la dépossession. Il lui est très difficile de se départir de quelque chose, quand bien même cela serait un simple objet publicitaire inutile récupéré à la sortie du métro. La dépossession est survalorisée inconsciemment. Ce biais est un véritable frein à la décision : baisser son chauffage ou renoncer à sa voiture individuelle constitue un réel coût psychique, difficile à rationaliser.
Par ailleurs, et de façon assez rationnelle finalement, nous ajustons nos comportements en fonction de ce que font les autres. La décision de passer à l’action dépend de ce que je crois, mais aussi de ce que font les autres. Si personne n’agit, je n’ai aucun intérêt à changer. Cela serait improductif, et par-dessus tout, inéquitable.
L’urgence crée la décision Les décisions pour être prises nécessitent une « urgence ». En vente, créer l’urgence est un outil destiné à déclencher la décision d’achat (« derniers articles disponibles », « offres valables jusqu’à ce soir », « offres pour les 100 premiers acheteurs »). En matière d’écologie, l’urgence n’est que peu palpable puisque les changements s’étendent sur de longues périodes. Cela contribue à retarder la prise de décision, car l’être humain décide en surpondérant le court terme (d’où le fameux adage « un tien vaut mieux que deux tu l’auras »).
Alors, pour se décider, faudrait-il passer de l’invitation à l’incitation douce (nudge) ou plus puissante (réduction de l’accueil des voitures dans les grandes villes), voire à la coercition ? Et qui doit décider du sens dans lequel aller ? Finalement, si l’espèce humaine n’est pas capable de créer les conditions de sa survie, doit-on s’en émouvoir ? Pour l’astrophysicien Hubert Reeves, l’humanité mérite d’être sauvée (, notamment parce qu’elle est capable d’empathie. « Les êtres humains souffrent de voir les autres souffrir, et sont capables de s’en occuper ». Reste donc à eux de se décider .