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Au fil des mots de Chantal Yelu Mulop se dessine un pays, la République Démocratique du Congo, où la douleur des femmes est encore à vif mais où le gouvernement met tout en œuvre pour avancer vers une masculinité positive dans le respect des femmes.
Une interview de Christelle Crosnier
Christelle : Vous êtes une humaniste et féministe reconnue. Que veut dire le féminisme pour vous ?
Chantal : C’est la défense et la promotion des droits des femmes dans une société dominée par les hommes. Mais c’est aussi la femme qui prend à cœur la cause de toutes les autres. J’ai deux garçons et quatre filles. Mes fils trouvent que je les traite mal et que je donne aux filles « la vida loca » parce que je n’agis pas avec eux comme on le fait avec les autres garçons : chez moi, ce sont eux qui s’occupent de la cuisine, préparent, nettoient. Je leur réponds que grâce à cela lorsqu’il se marieront, ils pourront vraiment participer dans leur famille.
Christelle : Quelles sont les femmes qui vous inspirent particulièrement ?
Chantal : Ce sont des femmes comme Maya Angelou, écrivaine, activiste, militante. Mais aussi la chanteuse Nina Simone ou des femmes comme Son Excellence Madame Ellen Johnson, Présidente honoraire du Liberia, première femme élue au suffrage universel à la tête d’un État Africain et Prix Nobel de la Paix, qui a mis en place le principe de masculinité positive pour l’Afrique. Dans mon pays en RDC, il faut savoir que nous avons eu la première femme Ministre Sophie Kanza Lihau et que maintenant nous avons la chance d’avoir la Première Dame, Denise Nyakeru, la femme de notre Président, qui s’engage personnellement dans la lutte contre toutes les formes de violences faites aux femmes. Elle s’est battue pour mettre en place la loi sur la réparation avec notamment la création d’un fonds de réparation des victimes de violences sexuelles.
Christelle : Trouvez-vous que nous progressons ou régressons sur les droits des femmes dans le monde et en République Démocratique du Congo en particulier ?
Chantal : En RDC, je peux dire que nous progressons avec notre actuel Président, Monsieur Félix Tshisekedi. Dès son arrivée au pouvoir, il a réuni dans son cabinet à peu près 12 % de femmes, ce qui est énorme pour un pays comme le nôtre où il n’y en avait que 3 % auparavant. Dans son premier gouvernement, il y avait 17 % de femmes contre 1% avant ; et dans son deuxième gouvernement, le nombre de femmes a progressé jusqu’à 23 %. Il a été nommé par ses pairs « le chantre de la masculinité positive ». Nous avons beaucoup avancé également sur le plan juridique : il existe maintenant des lois garantissant la protection des droits des femmes, avec notamment des lois autorisant les femmes à s’engager en politique. Cela veut dire beaucoup pour nous, car en Afrique les femmes sont souvent muselées par la société, les traditions et la religion.
Christelle : Vous travaillez pour l’élimination de la violence sexuelle à l’égard des femmes dans les zones de conflits. Où en sommes-nous actuellement ?
Chantal : En RDC, les zones de conflits sont situées essentiellement dans l’est du pays, vers Goma ou Bukavu. C’est un immense fléau parce qu’on utilise la violence faite aux femmes, en particulier le viol, comme arme de guerre. Nous travaillons sur quatre volets : militaire, judiciaire, politique et communautaire. Le volet militaire consiste à restaurer l’autorité de l’État avec l’éradication des groupes armés, principaux auteurs des violences sexuelles. Ceux qui commettent ces violences sont en effet le plus souvent des militaires, des policiers ou globalement des hommes en uniformes. Lorsqu’ils arrivent dans un village, ils décrètent que les femmes leur appartiennent et elles deviennent leurs instruments sexuels. Plus de deux mille femmes ont ainsi été violées récemment en moins de six mois… Il y a aussi le trafic d’êtres humains et d’organes.
Christelle : Vous avez signé un addendum à la déclaration conjointe entre le gouvernement de la République Démocratique du Congo et les Nations Unies sur les violences sexuelles liées au conflit en 2019 ainsi que la déclaration à la réunion du G20 sur la promotion des droits des femmes, l’égalité des sexes et la lutte contre l’impunité…
Chantal : Un premier contrat a été signé en 2013 entre les Nations-Unies et la RDC, pour en finir avec la violence sexuelle en zone de conflits. A l’époque, on appelait la RDC « capitale des viols » et nous avons attiré l’attention sur l’urgence d’agir. L’une des promesses de l’addendum a été que la police nationale signe des engagements pour cesser les viols en 2019. Les milices, ou « M23 », représentent le principal problème : elles écument les villages et violentent sexuellement, non seulement les femmes, mais également les chefs de villages humiliés devant leurs épouses et leurs enfants.
Christelle : Vous avez participé à l’organisation de la première conférence des Chefs d’État de l’Union Africaine sur la masculinité positive. Quelles sont les évolutions que vous avez pu noter suite à cette conférence ?
Chantal : Cette conférence, à l’initiative de Son Excellence Madame Ellen Johnson et de Madame Bineta Diop, fondatrice de l’ONG Femmes Africa Solidarité, était merveilleuse. Nous avons pu avancer avec des hommes « féministes ». Les Chefs d’État ont donné l’impulsion sur leurs peuples ensuite. De la déclaration de Kinshasa, il est ressorti qu’il fallait s’atteler au problème des droits des femmes avec l’aide de différents groupes d’hommes : les chefs coutumiers, les leaders religieux, les hommes d’affaires, les jeunes-hommes et les professeurs d’université, parce que ce sont eux qui dirigent les communautés et font passer ces programmes sur la masculinité positive. Ainsi, nous sommes en train de mettre en place une loi portant sur la prévention et la répression des violences conjugales et des violences faites à la femme. Elle a été validée au mois d’août 2022. Le problème des violences conjugales en Afrique, c’est qu’elles sont considérées comme normales : « si mon mari me frappe, c’est parce que je le mérite » ou encore « tu dois obéir à ton mari, s’il t’a frappée c’est que tu as mal agi ! ». Il faut vraiment permettre aux femmes de pouvoir s’exprimer et d’oser de plus en plus.
Christelle : Sur le plan international, vous faites partie du G100 des femmes… De quoi s’agit-il ?
Chantal : J’ai la chance d’appartenir à ce groupe de cent femmes leaders dans le monde, présidé par le Docteur Harbeen Arora. Nous fédérons près d’un million de femmes à l’international : les femmes ont compris que pour avancer, il faut toutes se soutenir, travailler ensemble, se solidifier, se rappeler de toutes celles qui se sont déjà battues pour nous. Au lieu de chercher son propre leadership, un fonctionnement plus communautaire des femmes nous permettra d’atteindre nos objectifs et d’en finir avec ces violences faites aux femmes.