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Spécialiste des questions RSE et d’égalité professionnelle dans la technologie, Catherine Ladousse a dédié sa vie à faire avancer la cause des femmes. Son expérience dans la communication de grands groupes internationaux (American Express, IBM, Lenovo) doublée d’un solide engagement contre le sexisme lui ont montré l’importance pour les femmes de s’ouvrir à nouveau à ce qu’on appelle « les métiers d’hommes ».
Une interview de Christelle Crosnier
Christelle : 80% des personnes engagées en faveur de la mixité sont des femmes. Que font les hommes?
Catherine : C’est justement la question, et le problème. Il est clair que l’enjeu de la mixité n’est pas un enjeu de femmes mais celui de toute la société, il faut absolument en convaincre les hommes ! Certains le sont déjà, il faut être optimiste, mais ils ne sont pas encore assez nombreux… D’autres n’ont même pas pris conscience de l’importance de cette bataille pour la mixité.
Christelle : Quelle est la raison de leur manque d’engagement ?
Catherine : Tout vient d’une éducation souvent très chargée de biais de genres et de stéréotypes. Je ne crois pas que ce soit de la mauvaise volonté de la part des hommes, mais ils ne savent plus quel est le comportement qu’ils doivent adopter aujourd’hui. Nombreux sont ceux qui s’aperçoivent de tout cela lorsqu’ils ont eux-mêmes une fille : ils se rendent alors compte qu’ils veulent que leur fille ait les mêmes chances que les garçons. De nombreuses études montrent que la parité est source de richesse, de créativité, d’innovation et de performance au sein d’une entreprise. Dans l’étude Claudine Schmuck de Gender Scan, il apparaît que la mixité est également source de bien-être pour les salariés.
Christelle : Quid du plafond de verre, notamment dans l’univers de la tech ?
Catherine : Sur l’égalité salariale heureusement, il y a l’index Pénicaud qui, avec toute une série de mesures et donc d’obligations, permet aux entreprises de mesurer les écarts de rémunération pour mettre en place des plans d’action afin de les réduire. Dans les années 60 il y avait toute une série de femmes innovantes à la tête dans le domaine de l’informatique. Mais à partir du moment où la tech est devenue le nerf de la guerre, les hommes s’en sont emparé. Aujourd’hui, les femmes n’ont pas envie d’être associées à l’image des geeks, aussi elles restent en minorité (environ 30 à 35 %). Toutefois, les entreprises de la tech ont été les premières à prendre conscience de l’importance de les faire revenir pour des raisons de créativité et d’innovation. Sur le plan de l’intelligence artificielle, il est clair que si les algorithmes sont créés par des hommes, ils façonneront un monde pour les hommes. La France doit donc absolument mettre en place des mesures pour inciter les jeunes filles à choisir les filières d’ingénieurs. C’est indispensable pour l’avenir de la société.
Christelle : 41 % des français considèrent que les femmes ne sont pas aussi douées que les hommes pour travailler dans la tech ! Qu’en pensez-vous ?
Catherine : L’influence culturelle tente de cloisonner les femmes dès l’enfance, il y a un énorme travail à faire sur les métiers genrés. Savez-vous qu’il n’y a que 18 % de métiers mixtes ? Par exemple, très peu d’hommes deviennent sages femmes, d’abord parce que ça s’appelle « sages femmes » ! Les professeurs des écoles, autrefois instituteurs, sont aujourd’hui essentiellement des femmes. En Chine ou dans les pays de l’Est, les métiers sont beaucoup moins genrés.
Christelle : Qu’a changé la loi Marie-Pierre Rixain ?
Catherine : Votée en décembre dernier, elle représente une avancée majeure pour les femmes. On parle beaucoup de son article phare qui instaure des quotas pour les instances dirigeantes des entreprises de plus de 1000 salariés : 30% de femmes en 2027 et 40% en 2030. Mais ce qui est intéressant, c’est que c’est une loi d’accélération de l’émancipation et de l’autonomie économique des femmes. En témoignent par exemple le versement du salaire ou des prestations sociales sur un compte dont la bénéficiaire est détentrice, et les garanties de financement pour les entrepreneuses par la BPI. La loi propose également d’avoir un index, sorte de baromètre pour assurer la mixité des établissements scientifiques supérieurs.
Christelle : Finalement les femmes sembleraient peiner à obtenir des responsabilités égalitaires avec les hommes dans de nombreux domaines, y compris au niveau de l’État et des institutions ?
Catherine : Nous venons justement de sortir un nouveau rapport sur la parité en politique avec le Haut Conseil à l’Égalité, présidé par Sylvie Pierre-Brossolette, dont j’ai l’honneur de présider la commission parité. Nous avons travaillé pendant plusieurs mois à auditionner des partis politiques et des experts. Nous avons rencontré la Présidente de l’Assemblée Nationale, le Président du Sénat et un certain nombre de juristes pour nous accompagner dans cette réflexion. Il y a eu des avancées considérables grâce aux lois sur la parité, avec par exemple l’obligation d’un binôme au niveau départemental ; il y a vingt ans il y avait moins de 10 % de femmes à l’Assemblée Nationale, aujourd’hui il y en a 37%. Toutefois, au niveau national, on peut mieux faire : les ministères régaliens les plus dotés financièrement restent entre les mains des hommes ; les femmes sont souvent reléguées dans des circonscriptions plus difficiles. Ce qui est intéressant, c’est que la plupart des partis politiques se rendent bien compte qu’il devient indispensable de féminiser leurs équipes ; c’est plus facile pour les nouveaux partis parce qu’ils mettent en place des exigences de parité dans les hauts niveaux des responsables, mais plus compliqué pour les partis historiques, parce qu’il y a la prime au sortant qui sont souvent des hommes… Il y a quand même une volonté de dire que l’égalité fait partie des valeurs promues : ainsi, le PS réserve des circonscriptions aux femmes candidates. Il faut que la parité devienne un droit fondamental.